Imaginer un Dieu créateur éphémère, qui aurait accompli son œuvre d’un seul coup, serait froid et stérile[1].  Il faut en cela nous distinguer fortement des païens et de toutes les personnes profanes et montrer que la puissance de Dieu est brillante tant dans le maintien permanent du monde qu’au moment de sa création.  Bien que les pensées des incrédules soient contraintes, en considérant le ciel et la terre, de s’élever jusqu’au créateur, la foi a un regard spécial qui la pousse à louer Dieu de ce qu’il a tout créé[2].   C’est aussi à cela que tend ce que dit l’apôtre : « C’est par la foi que nous comprenons que le monde a été formé par la Parole de Dieu». Si nous n’en venons pas jusqu’à sa providence par laquelle il continue à maintenir tout, nous ne comprendrons pas, comme il convient, ce que signifie l’affirmation « Dieu est créateur », même si nous l’avons imprimé dans notre esprit et que nous le confessions de la bouche.

L’esprit humain, ayant une fois reconnu la puissance de Dieu lors de la création, est tenté d’en rester là ;il consent tout au plus à considérer les marques de la sagesse, de la puissance et de la bonté de l’ouvrier, dont témoigne un si grand et noble bâtiment, ce qui va de soi, même si on ne veut pas y réfléchir. Ensuite, l’esprit humain imagine quelque action effectuée par Dieu pour conserver et conduire l’ensemble.  Mais, au total, il estime que la vigueur manifestée par Dieu au début suffit à maintenir les choses en l’état.  La foi doit aller plus loin et reconnaître pour gouverneur et gardien perpétuel celui qu’elle a reconnu comme créateur[3].   Et cela, non seulement parce que Dieu conduit la machine du monde et veille sur le mouvement continuel qui anime toutes ses parties, mais parce qu’il soutient, nourrit et prend soin de chaque créature jusqu’aux petits oiseaux.

C’est pourquoi David, après avoir dit brièvement que le monde a été créé par Dieu, en vient rapidement à son gouvernement continuel : « Les cieux ont été faits par la Parole de Dieu et toute leur armée par le souffle de sa bouche. » Et il ajoute que Dieu regarde tous les humains sur la terre et renverse le conseil des nations[4]  et ce qui suit dit la même chose.

Bien que tous ne soient pas au clair, ils s’étonneraient que Dieu ne se mêle pas des affaires de ce monde qui est son œuvre, et personne ne croit, à vrai dire, que le monde a été créé par Dieu sans être persuadé, en même temps, qu’il en prend soin : David va dans le bon ordre en nous menant de l’un à l’autre. Il est vrai que les philosophes enseignent aussi, en général, que toutes les parties du monde proviennent d’une inspiration secrète de Dieu, ce que nous pressentons également. Mais personne ne s’exprime comme David avec une hauteur de vue qui attire les croyants, lorsqu’il dit : « Tous ces animaux mettent leur espoir en toi pour que tu leur donnes leur nourriture en son temps. Tu la leur donnes et ils la recueillent ; tu ouvres la main, et ils se rassasient de biens. Tu caches ta face ; ils sont épouvantés. Tu leur retires le souffle ; ils expirent et retournent dans leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés et tu renouvelles la face du sol »[5]. Même si les philosophes sont d’accord avec la phrase de Paul qu’en Dieu nous avons la vie, le mouvement et l’être[6], ils sont très loin d’éprouver le sentiment de sa grâce, telle que l’apôtre la prêche. Dieu nous accorde un soin spécial, dû à son amour paternel, que la nature charnelle n’apprécie pas.

Il faut noter cette différence : la providence de Dieu dont parle l’Écriture s’oppose au hasard et à toutes les situations fortuites.  À toutes les époques ou presque, et aujourd’hui encore, tous sont convaincus que tout ce qui se passe arrive par hasard : ce qui aurait dû être imputé à la providence de Dieu est obscurci et presque complètement oublié. Si quelqu’un tombe aux mains de brigands ou rencontre une bête sauvage, s’il tombe à la mer dans une tempête, s’il perd sa maison ou un arbre, si un voyageur trouve dans le désert de quoi se nourrir, si les vagues de la mer ramènent le marin au port après avoir échappé miraculeusement à la mort dont il était à deux doigts, la raison charnelle attribuera à la chance ces événements bons et mauvais. Mais tous ceux qui ont retenu l’enseignement du Christ et qui savent que leurs cheveux sont comptés[7], chercheront la cause plus loin, étant convaincus que les événements, quels qu’ils soient, sont gouvernés par le conseil secret de Dieu.

En ce qui concerne les objets inanimés, il faut savoir que, bien que Dieu leur ait assigné à chacun une propriété propre, ils ne peuvent produire leurs effets que si la main de Dieu les dirige.  Ils ne sont que des instruments dont Dieu utilise plus ou moins et sans cesse les particularités, selon son bon plaisir, pour accomplir ce qu’il veut.

Parmi les choses créées, rien n’est aussi noble et admirable que le soleil.  En plus d’éclairer le monde entier, ne nourrit-il pas et ne fait-il pas grandir par sa chaleur les animaux, ne favorise-t-il pas la fertilité de la terre en faisant germer la semence qu’on y jette ? Ensuite, ne fait-il pas verdir de beaux herbages qu’il fait croître en leur fournissant ce qu’il faut, ne permet-il pas au blé et aux autres céréales de donner des épis, ne fournit-il pas à toutes les semences ce qu’il faut pour qu’elles fleurissent, avant de donner des fruits dont il assure la maturité ? Quelle noblesse et quelle force sont les siennes pour faire bourgeonner les vignes, sortir les feuilles et les fleurs avant de produire un fruit aussi excellent ! Dieu, pour se réserver toute la louange à cause de ces choses, a voulu, avant que le soleil ne soit créé, qu’il y ait de la clarté dans le monde et que la terre soit couverte et parée de toutes sortes de végétaux et de fruits[8]. Aussi le croyant ne considérera-t-il pas que le soleil soit la cause principale ou nécessaire de ce qui a existé avant que lui-même soit créé ou formé. Il le tiendra pour un instrument dont Dieu se sert parce que cela lui plaît et non parce qu’il ne peut pas, sans lui, accomplir son œuvre. Quand nous lisons qu’à la requête de Josué, le soleil s’est arrêté durant deux jours[9]et qu’à la requête du roi Ézéchias, son ombre a reculé de dix degrés[10], nous concluons que Dieu, par de tels miracles, a attesté que le soleil, lorsqu’il se lève et se couche chaque jour, n’est pas conduit par un mouvement naturel capable de faire obstacle à sa décision souveraine de l’avancer ou de le retenir dans sa course.  Cela doit nous rappeler la faveur paternelle que Dieu a envers nous et qu’il a manifestée lors de la création du monde. Il n’y a rien de plus naturel que de voir les quatre saisons se succéder ; pourtant dans cette succession continuelle, on peut observer tant de diversité et de différences qu’il est clair que chaque année, chaque mois et chaque jour sont ce qu’ils sont par une providence spéciale de Dieu.

Référence:  Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, pages 147 à 149

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[1]Cf. Catéchisme de Heidelberg, q. 27-29.

[2]Hébreux 11:3 (SG21) 3 Par la foi, nous comprenons que l’univers a été formé par la parole de Dieu, de sorte que le monde visible n’a pas été fait à partir des choses visibles.

[3]Cf. Confession de La Rochelle, 8.

[4]Psaumes 33:6-7 (SG21) 6 Le ciel a été fait par la parole de l’Eternel, et toute son armée par le souffle de sa bouche. 7 Il amoncelle les eaux de la mer, il garde les océans dans des réservoirs.

Psaumes 33:10 (S10 L’Eternel renverse les plans des nations, il anéantit les projets des peuples,

Psaumes 33:13 (SG21) 13 L’Eternel regarde du haut du ciel, il voit tous les hommes.

[5]Psaumes 104: 27-30 (SG21) 27 Tous ces animaux espèrent en toi pour que tu leur donnes la nourriture au moment voulu. 28 Tu la leur donnes, et ils la prennent ; tu ouvres ta main, et ils sont rassasiés de biens. 29 Tu te caches, et ils sont épouvantés ; tu leur retires le souffle, et ils expirent, ils retournent à la poussière. 30 Tu envoies ton souffle, et ils sont créés ; tu renouvelles ainsi la surface de la terre.

[6]Actes 17:28 (SG21) 28 En effet, c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être, comme l’ont aussi dit quelques-uns de vos poètes:’Nous sommes aussi de sa race.’

[7]Matthieu 10:30 (SG21) 30 Même vos cheveux sont tous comptés.

[8]On trouve le même raisonnement chez l’évêque Jacques Bénigne Bossuet, Discours sur l’histoire universelle (1681), Il, 1.

Genèse 1:3 (SG21) 3 Dieu dit: «Qu’il y ait de la lumière!» et il y eut de la lumière.

Genèse 1:11 (SG21) 11 Puis Dieu dit: «Que la terre produise de la verdure, de l’herbe à graine, des arbres fruitiers qui donnent du fruit selon leur espèce et qui contiennent leur semence sur la terre!» Et cela se passa ainsi:

[9]Josué 10:13 (SG21) 13 Le soleil s’arrêta et la lune suspendit sa course jusqu’à ce que la nation se soit vengée de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste? «Le soleil s’arrêta au milieu du ciel et ne s’empressa pas de se coucher, durant presque tout un jour.»

[10]2 Rois 20:11 (SG21) 11 Alors le prophète Esaïe fit appel à l’Eternel et celui-ci fit reculer l’ombre de 10 marches sur l’escalier d’Achaz, où elle était déjà descendue.