Le point de vue concernant la régénération et la foi

La question classique entre la théologie augustinienne et toutes les formes de semi-pélagianisme se concentre sur un aspect de l’ordre du salut (ordo salutis):  quelle est la relation entre la régénération et la foi ? La régénération est-elle un travail “monergistique”[1] (unilatéral) ou synergique ? Une personne doit-elle d’abord exercer la foi pour naître de nouveau ? Ou est-ce que la nouvelle naissance doit se produire avant qu’une personne puisse exercer la foi ? Une autre façon de poser la question est la suivante : la grâce de la régénération est-elle opérationnelle ou coopérative?

La régénération “monergistique” signifie qu’elle est accomplie par un seul acteur, Dieu lui-même. Cela veut dire littéralement « son seul travail ».  D’un autre côté, le synergisme[2] se réfère à un travail qui implique l’action de deux ou plusieurs parties, c’est un travail d’équipe.  Toutes les formes de semi-pélagianisme[3] affirment une sorte de synergie dans le travail de régénération.  Habituellement, la grâce assistante de Dieu est considérée comme un ingrédient nécessaire, mais elle dépend de la coopération humaine pour son efficacité.

Les réformateurs ont enseigné non seulement que la régénération précède la foi, mais précisément qu’elle doit la précéder.  En raison de l’esclavage moral du pécheur non régénéré, il ne peut y avoir la foi avant d’être changé intérieurement par le travail opératoire et “ monergistique ”[4] du Saint-Esprit.  La foi est le fruit de la régénération, et non pas sa cause. 

Selon le semi-pélagianisme, la régénération est opérée par Dieu, mais seulement chez ceux qui lui ont d’abord répondu dans la foi.  La foi n’est pas vue comme le fruit de la régénération, mais comme un acte de volonté coopérant avec l’offre de grâce de Dieu.  

Les évangéliques sont ainsi appelés en raison de leur engagement à la doctrine biblique et historique de la justification par la foi seule.  Parce que les réformateurs considéraient que la ‘’sola fide’’ était centrale et essentielle à l’évangile biblique, le terme évangélique leur a été appliqué. Les évangéliques modernes en grand nombre embrassent la “sola fide” de la Réforme, mais ont largué la “sola gratia qui l’a sous-tendue.

Packer et Johnston affirment que « la justification par la foi seule » est une vérité qui a besoin d’être [bien] interprétée. Le principe de la “sola fide” n’est pas correctement compris jusqu’à ce qu’il soit considéré comme ancré dans le principe plus large de “sola gratia”.

Quelle est la source et le statut de la foi ? Est-ce le moyen donné par Dieu afin de recevoir la justification donnée de sa part, ou est-ce une condition à remplir afin d’obtenir la justification ? Est-ce une partie du don de salut provenant de Dieu, ou est-ce la contribution de l’homme au salut ? Notre salut est-il entièrement de Dieu, ou dépend-il finalement de quelque chose que nous faisons nous-mêmes ?

Ceux qui affirment cela (comme les Arminiens l’ont fait par la suite) nient ainsi l’impuissance absolue de l’homme dans le péché et affirment qu’une forme de semi-pélagianisme est finalement vraie.  Il n’est donc pas étonnant que la théologie réformée ait condamné l’Arminianisme comme étant en principe un retour à Rome (car l’Arminianisme transformait la foi en œuvre méritoire) et une trahison de la Réforme (l’Arminianisme nia également la souveraineté de Dieu dans le salut des pécheurs, ce qui était le principe religieux et théologique le plus profond de la pensée des réformateurs).

Je dois avouer que la première fois que j’ai lu ce paragraphe, j’ai cligné des yeux.  À première vue, il semble que ce soit un acte d’accusation sévère contre l’Arminianisme.  En effet, il ne serait guère plus grave que de parler de « non chrétien » ou d’« anti-chrétien ».   Est-ce que cela signifie que Packer et Johnston croient que les Arminiens ne sont pas chrétiens ? Pas nécessairement puisque chaque croyant a des erreurs de quelque sorte dans sa pensée.  Nos points de vue théologiques sont faillibles.  Toute distorsion dans notre façon de penser, toute déviation par rapport à la pleine rectitude des catégories bibliques peut être vaguement jugée de « non chrétienne » ou « anti-chrétienne ».

Le fait que notre pensée contienne des éléments non chrétiens n’exige pas l’inférence que nous ne sommes pas chrétiens du tout.   Je suis d’accord avec Packer et Johnston que l’arminianisme contient des éléments non conformes avec le christianisme et que leur point de vue sur la relation entre la foi et la régénération est fondamentalement non chrétien. Cette erreur est-elle si flagrante qu’elle est fatale au salut ? […]  Ils sont chrétiens par ce que nous pourrions appeler une incohérence heureuse.

Quelle est cette incohérence ?  Les Arminiens affirment pourtant la doctrine de la justification par la foi seule. Ils conviennent également que nous n’avons aucune œuvre méritoire qui contribue à notre justification, que cette dernière repose uniquement sur la justice et le mérite de Christ.   Ils affirment aussi que le ‘’sola fide’’ de la justification par la foi seule est aussi en Christ seul, et que nous ne devons pas nous reposer sur nos propres œuvres pour notre salut, mais sur l’œuvre de Christ.  Dans tout cela, ils diffèrent de Rome sur des points cruciaux.  Packer et Johnston notent que plus tard, la théologie réformée a condamné l’Arminianisme comme une trahison de la Réforme et en principe comme un retour à Rome.  Ils soulignent que l’arminianisme « a eu pour effet de transformer la foi en œuvre méritoire ».

Nous remarquons que cette accusation est nuancée par les mots ’’a eu pour effet’’.  Habituellement, les Arminiens nient que la foi est une oeuvre méritoire.  S’ils insistaient sur le fait que la foi est une oeuvre méritoire, ils nieraient explicitement la justification par la foi seule.  L’arminien reconnaît que la foi est quelque chose qu’une personne fait. C’est une oeuvre, mais pas une oeuvre méritoire. Est-ce une bonne oeuvre ? Ce n’est certainement pas une mauvaise. Il est bon pour une personne de croire en Christ et en Christ seul pour son salut. Puisque Dieu nous commande de croire en Christ, lorsque nous le faisons, nous obéissons à ce commandement.  Mais tous les chrétiens conviennent que la foi est quelque chose que nous faisons.  Dieu n’exerce pas la croyance pour nous. Nous sommes également d’accord que notre justification est par la foi dans la mesure où la foi est la cause instrumentale de notre justification. Tout ce que l’Arminien entend et veut affirmer, c’est que l’homme a la capacité d’exercer la cause instrumentale de la foi sans être d’abord régénéré.  Cette position nie clairement la grâce seule, mais pas nécessairement la foi seule. Alors, pourquoi dire que l’Arminianisme « en effet » fait de la foi une œuvre méritoire ? Parce que la bonne réponse que les gens apportent à l’Évangile devient le facteur déterminant et ultime du salut.

Je demande souvent à mes amis Arminiens pourquoi ils sont chrétiens et les autres eux ne le sont pas. Ils répondent que c’est parce qu’ils croient en Christ alors que les autres ne croient pas.  Je leur dis alors, puis-je demander pourquoi vous croyez et les autres pas ? « Est-ce parce que vous êtes plus juste que la personne qui demeure dans l’incrédulité ? »  À cette question ils sont prompts à dire non. « Est-ce parce que vous êtes plus intelligents ? » Encore une fois, la réponse est négative.   Ils disent que Dieu est assez aimable pour offrir le salut à tous ceux qui croient et que personne ne peut être sauvé sans cette grâce.  Mais cette grâce en est une dite coopérative.  L’homme dans son état déchu doit atteindre et saisir cette grâce par un acte de la volonté, et il est libre d’accepter ou de rejeter cette grâce. Certains exercent la volonté correctement (ou justement), tandis que d’autres ne le font pas. Lorsqu’il est pressé sur ce point, l’Arminien trouve difficile d’échapper à la conclusion qu’en fin de compte son salut repose sur un acte juste qu’il a accompli de par sa volonté.  Il a « en effet » été digne du mérite de Christ, ce qui ne diffère que légèrement de la vue de Rome.

Packer et Johnston, en concluant leur introduction Du serf arbitre de Luther, écrivent :

Ces choses doivent être méditées par les protestants d’aujourd’hui. De quel droit pouvons-nous nous appeler les enfants de la Réforme ? Beaucoup de protestants modernes ne pourraient être réputés appartenir, ou encore être reconnus par les réformateurs pionniers. . . . À la lumière de cet ouvrage qu’est celui Du serf arbitre, nous sommes obligés de nous demander si la chrétienté protestante n’a pas vendu tragiquement son droit d’aînesse entre le jour de Luther et le nôtre.  Le protestantisme n’est-il pas devenu aujourd’hui plus érasmien que luthérien ?

“N’essayons-nous pas trop souvent de minimiser et de dissimuler les différences doctrinales afin de maintenir la paix entre les partis ? . . . Ne nous sommes-nous pas habitués à un enseignement érasmien dans la prédication provenant du haut de la chaire? Un message qui repose finalement sur les mêmes conceptions synergiques et superficielles que Luther a réfutées.  Un message imaginant que Dieu et l’homme peuvent s’approcher presque à égalité, chacun ayant sa propre contribution à faire au salut de l’homme en dépendant de la coopération consciencieuse de l’autre pour l’accomplissement de cette fin ?” . . .[5]

Packer et Johnston en appellent à une révolution copernicienne moderne dans notre pensée qui aurait pour effet de changer radicalement notre prédication, notre évangélisation et la vie générale de l’église.  Ce qui est en cause est la grâce et la gloire de Dieu.

[Cet article est le deuxième d’une série de trois]

Référence:  C. Sproul, Willing to believe (The controversy over free will), pages 22 à 26

Traduction libre

[1] Dans le texte original anglais c’est le terme “monergistic” qui est utilisé.   En français certains utilisent le terme “monergistique” (La théologie des alliances réformée baptiste par Tribonien Bracton, page 28).  Dernière mise à jour le 25 juillet 2017.

C. Sproul a écrit ce qui suit : « Dans la pensée historique de la Réforme, cette notion est la suivante: la régénération précède la foi. Nous croyons également que la régénération est “monergistique”. Maintenant, c’est un mot à trois dollars mais cela signifie simplement et essentiellement que l’opération divine qui est appelée renaissance ou régénération est l’œuvre de Dieu seul.  Un “erg” représente en fait une unité de travail.  Le mot énergie provient de cette idée.  Le préfixe “mono” signifie « un ».  Ainsi, le monergisme veut dire « celui qui travaille ».  Cela signifie que l’œuvre de régénération dans le cœur humain est quelque chose que Dieu fait par Sa seule puissance (non pas 50% de Sa puissance et 50% par le pouvoir de l’homme ou même pas 99 pourcent du pouvoir de Dieu et un pour cent du pouvoir de l’homme). C’est 100% le travail de Dieu.  Lui et Lui seul a le pouvoir de changer la disposition de l’âme et du cœur humain pour nous amener à la foi. »

https://www.ligonier.org/blog/tulip-and-reformed-theology-irresistible-grace/

[2]  Voici comment R. C. Sproul définit le synergisme :  “La sanctification, inclut nos efforts. Nous disons que c’est un processus synergique parce que Dieu et nous participons à la sanctification.  Pourtant, nous ne sommes pas des partenaires égaux. Dieu travaille en nous selon son bon plaisir, afin que nous progressions dans la sainteté (Phil 2: 12-13).  Mais comme Dieu agit en nous, nous travaillons également en nous appuyant sur les moyens de grâce (la Parole prêchée et les sacrements) par la prière et en cherchant à nous réconcilier avec ceux que nous avons offensés.  Il n’existe pas de raccourci pour la sanctification. C’est un processus qui, trop souvent, nous semble laborieux et impliquant des progrès qu’on arrive à discerner que sur une longue période.”

Rappelons-nous également que “Nous ne travaillons manifestement pas pour notre régénération ou notre justification.  Les deux actes sont “monergistiques”, accomplis par Dieu seul.  Seul le Saint-Esprit peut changer nos coeurs.  Seule la justice de Christ, la justice du Fils de Dieu garantie par Son obéissance parfaite au Père, peut assurer notre juste position devant Dieu.”

https://www.ligonier.org/learn/articles/no-shortcuts-growth/

[3] Doctrine hérétique du moine Pélage qui minimisait le rôle de la grâce divine.

[4]  Provenant du seul pouvoir de L’Esprit

[5]  Ibid pp. 59-60.